Où est passée l’eau qui coulait sur Mars, il y a plus de quatre milliards d’années ?

Malgré la découverte, en 2008, de blocs de glace d’eau sous le sol martien, les scientifiques peinent à trouver des traces contemporaines d’eau liquide sur la Planète rouge. Si les lunes glacées de Jupiter et de Saturne ont le pied marin, Mars est au régime sec. Malgré les dizaines de missions spatiales qui lui ont été consacrées, la Planète rouge n’a toujours pas livré de preuve convaincante qu’elle dissimule sous sa surface des réserves importantes en eau.

La petite cousine de la Terre n’a pourtant pas été toujours aussi cachottière. Diverses études ont démontré que voici un peu plus de quatre milliards d’années, elle a vécu une ère « aqueuse » où lacs, rivières et peut-être même océans pouvaient se maintenir sur son sol. Des vallées ramifiées et des terrains anciens riches en argiles hydratées témoignent de cette heureuse période d’abondance.

Par la suite, la perte d’une partie de l’atmosphère martienne a entraîné une diminution de l’effet de serre puis une disparition progressive de l’eau. Tout le problème est de savoir combien de temps a duré ce processus, et dans quelles conditions il s’est déroulé. C’est ce que tentent d’établir les astromobiles Curiosity et Perseverance de l’Agence spatiale américaine (NASA) depuis leur arrivée, en 2012 et en 2021, dans les cratères Gale et Jezero. « Des lacs ont occupé ces dépressions voici 3,5 ou 3,6 milliards d’années, explique Nicolas Mangold, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de planétologie et géosciences, à Nantes. Par l’étude des dépôts sédimentaires et argileux laissés par le premier et l’exploration de l’ancien delta de rivière qui alimentait le second, il s’agit de déterminer si le climat de l’époque était plutôt humide et froid, ou plutôt sec et chaud. Le rover Perseverance s’occupe, par ailleurs, de récolter des échantillons, qui doivent être ramenés sur Terre dans le cadre de la mission MSR [Mars Sample Return, NASA-Agence spatiale européenne (ESA)]. Ils devraient donner des informations précises. »

Pour l’heure, c’est le flou le plus total. En effet, si de l’eau a coulé en quantité sur Mars, où est-elle passée ? A-t-elle été aspirée dans l’espace avec l’atmosphère martienne ou est-elle en partie demeurée sur place, enfouie dans le sous-sol ? De nombreuses équipes à travers le monde s’efforcent d’apporter des réponses en recherchant des indices de sa présence, autres que celles livrées par les calottes polaires et les glaciers.

Polémiques entre scientifiques

L’eau ne pouvant se maintenir longtemps à l’état liquide sur la surface de Mars, ces investigations consistent assez souvent à repérer des traces récentes de son passage à l’aide d’instruments placés en orbite. Ouvrant la voie à toutes sortes de controverses sur la manière dont il convient d’interpréter les observations sur ce monde à la morphologie radicalement différente de celle de la Terre. « Quelques-unes de ces polémiques, comme celles concernant les gullies, des ravines de 1 ou 2 kilomètres de long, découvertes par centaines le long de certains reliefs au début des années 2000, ont fini par être tranchées », raconte Susan Conway, chercheuse CNRS au Laboratoire de planétologie et géosciences, à Nantes. Son équipe a récemment démontré dans la revue Nature Communications que des dépôts saisonniers de glace carbonique expliquent le phénomène, et non des écoulements d’eau.

D’autres indices continuent d’alimenter les débats, voire les polémiques entre scientifiques. Nature des « écoulements sombres équatoriaux », bruit de fond des signaux radars relatifs à l’existence d’une mer souterraine sous la calotte Nord, présence d’éventuels canaux dans les éjectas des cratères d’impact, formations hypothétiques d’eskers (« rides ») dans les zones de retrait des glaciers… si de l’eau existe sur Mars, elle est bien camouflée. Pourquoi pas en profondeur, figée à l’état de cryosphère ? Ou conservée sous une forme liquide dans des aquifères ou à l’intérieur de la fine pellicule de saumure perchloratée censée exister à la base du pergélisol qui recouvre Mars aux hautes latitudes ? Les radars Marsis et Sharad des sondes Mars Express (ESA) et MRO (NASA) ont repéré des régions prometteuses. Et en creusant le sol gelé sur quelques centimètres juste après son arrivée en 2008, l’atterrisseur Phoenix de la NASA a immédiatement mis au jour des blocs de glace d’eau. De quoi relancer les hypothèses… et les spéculations.

Vahé Ter Minassian (c) Le Monde - Article Du Monde (réservé aux abonnés mais qui est offert ici

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire