10 février 2024

Ovnis : la Nasa va mener l'enquête

Face à la flambée des signalements de "phénomènes anormaux non identifiés", les États-Unis ont pris une décision inédite : impliquer la Nasa dans l'étude des ovnis. Avec ses équipements technologiques de premier plan comme l'observatoire Vera-Rubin ou ses nombreux satellites, l'agence spatiale américaine entend apporter son expertise scientifique.

Janvier 2015, côte est des États-Unis. Lors de vols d'entraînement à bord d'avions de combat F/A-18 Super Hornet, plusieurs pilotes observent des objets aux caractéristiques très étranges. Ils se déplacent à des vitesses hypersoniques mais ne possèdent ni aile, ni queue ou panache d'échappement visibles. Or ces objets, dont certains ressemblent à une sphère enveloppant un cube, peuvent ralentir puis accélérer subitement. Ou manœuvrer d'une manière paraissant impossible à réaliser par un équipage humain… C'est ce qu'indiquent les pilotes de l'US Navy à l'appui de vidéos filmées par des caméras infrarouges.

Révélées d'abord par la presse américaine, ces observations et d'autres du même type seront déclassifiées en 2020 par le département américain de la Défense. Et qualifiées par celui-ci de "phénomènes anormaux non identifiés" (Unidentified Anomalous Phenomena ou UAP), terme nouveau et moins connoté pour parler des fameux "ovnis" (objets volants non identifiés). Par la suite, les signalements d'UAP ont explosé : 247 entre 2021 et 2022, autant que lors des deux dernières décennies !

Face à cette flambée, les États-Unis ont pris une décision inédite : impliquer la Nasa dans l'étude des UAP. En septembre 2023, un panel d'experts diligenté par l'agence spatiale américaine présentait ainsi ses recommandations. "C'est la première fois que la Nasa va prendre des mesures concrètes pour se pencher sérieusement sur le sujet ", soulignait à cette occasion l'administrateur de la Nasa Bill Nelson. Le panel n'a trouvé "aucune preuve suggérant que les UAP ont une origine extraterrestre, mais nous ne savons pas ce que sont ces phénomènes ", a-t-il précisé. Avec un objectif : "faire passer le débat du terrain du sensationnalisme à celui de la science ".

Entre crédulité populaire et craintes militaires

Aux États-Unis, les ovnis sont devenus un sujet d'intérêt dès 1947. Un pilote amateur raconta alors à un journal local avoir aperçu une mystérieuse formation d'objets volants à proximité du mont Rainier (État de Washington). Ils semblaient comme attachés l'un à l'autre, filaient à une vitesse prodigieuse et sautillaient tels des disques ricochant sur l'eau. L'histoire suscita beaucoup de curiosité. Et fut rapidement suivie par des dizaines d'autres témoignages évoquant des "soucoupes volantes" aux propriétés insolites.

Pour la presse et une grande partie de l'opinion américaines, le phénomène relevait de la crédulité populaire. Elles raillèrent les penchants irrationnels de la foule qui se passionnait pour une sorte de "Loch Ness aérien". Mais les militaires ont pris le sujet beaucoup plus au sérieux. En ce début de guerre froide, ils craignaient que ces observations trahissent l'existence d'une nouvelle technologie ennemie. Ils redoutaient aussi que des alertes à répétition saturent les communications gouvernementales, masquant le jour venu une attaque soviétique. Certains militaires se convaincront même que les ovnis pourraient avoir une origine extraterrestre : dans des documents secrets de l'époque, l'hypothèse d'une visite interplanétaire est explicitement évoquée.

Tergiversant en permanence sur la façon d'appréhender le phénomène, le Pentagone lança ainsi dès 1947 une série d'enquêtes, analysant sous les noms de code "Sign", "Grudge" puis "Blue Book" 11.000 témoignages d'ovnis. Pour conclure, en 1968, sous l'autorité du physicien Edward Condon de l'Université de Chicago, n'avoir découvert aucun élément enrichissant les connaissances scientifiques. L'écrasante majorité des cas s'expliquaient en effet par des illusions d'optique, les reflets d'avions et de montgolfières, de mauvaises appréciations des distances et donc des vitesses considérées. Une variété de phénomènes naturels avait par ailleurs été mal interprétée : planètes, étoiles filantes, météores, couverture nuageuse particulière, etc.

Au final, 3 % des témoignages restaient inexpliqués : probablement en raison d'informations lacunaires ou de mauvaise qualité, estima le rapport Condon, qui conclua que des enquêtes plus approfondies ne sauraient "être justifiées par l'espoir de faire progresser la science ".
La Nasa se lance dans l'expertise scientifique des "UAP"

Tel est le sentiment qui prévaut aujourd'hui encore dans la communauté scientifique. Sans parler des scénarios invoquant une incursion extraterrestre, massivement rejetés. "La vie, possiblement intelligente, pourrait exister dans de multiples endroits de la galaxie. Et des civilisations plus avancées que la nôtre pourraient théoriquement s'y développer, énonce Gabriel Chardin, du Laboratoire astroparticules et cosmologie à Paris. Mais au vu des dimensions faramineuses de la galaxie, de la durée de vie potentielle de ces civilisations, des ressources que requerraient les voyages interstellaires, et, bien sûr, des preuves avancées, l'hypothèse d'une visite extraterrestre apparaît hautement improbable pour expliquer les ovnis. "

Elle reste pourtant solidement attachée à ceux-ci : pour des raisons historiques et à cause des nombreux canulars, comme l'affaire Roswell, très médiatisée dans les années 1990. Les ovnis ont donc conservé, surtout aux États-Unis, "une image un peu loufoque et complotiste, très stigmatisante pour les témoins de bonne foi ", note Paul Wohrer, chercheur à l'Institut français des relations internationales.

Mais un tournant va s'opérer à partir de 2017. Le New York Times révèle alors que le Pentagone n'a jamais vraiment cessé de s'intéresser aux ovnis, créant notamment, dix ans plus tôt, une structure secrète - le Programme d'identification des menaces aérospatiales avancées. Divers témoignages, comme ceux des pilotes de F/A-18, sont également dévoilés. Depuis lors, le changement d'attitude est très net dans la presse et l'opinion publique américaines : l'heure n'est plus aux moqueries ! Et ces révélations vont libérer une parole qui était beaucoup plus contrôlée jusqu'ici. Le Pentagone annonce ainsi, en 2020 et cette fois publiquement, la mise en place d'un Groupe de travail sur les phénomènes aériens non identifiés. Puis, en 2022, du Bureau de résolution des anomalies dans tous les domaines, précisant que parmi les centaines de signalements récents d'UAP, entre 2 % et 5 % seraient réellement "anormaux ".

"Les nouvelles vagues de témoignages pourraient résulter en partie du développement accéléré des drones, qui ne sont pas toujours reconnaissables, des constellations de satellites ou de ballons-sondes ", estime Paul Wohrer. Mais il subsiste, de fait, un pourcentage de cas inexpliqués. Qui du point de vue des autorités américaines pourraient constituer "un problème pour la sécurité nationale, la sécurité aérienne, ou provenir d'une cause à élucider ", poursuit le chercheur.

D'où la décision de faire appel à la Nasa. Grâce à elle, l'étude des UAP pourra sortir d'un contexte militaire trop strict. Et bénéficier "de l'image très positive et des valeurs de transparence scientifique dont jouit la plus célèbre des agences spatiales ", indique Paul Wohrer, aptes à rassurer l'opinion et déstigmatiser les témoins. "Je me réjouis de cette décision ", confie Vincent Costes, responsable du Groupe d'études et d'informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (Geipan), fondé dès 1977 en France par le Centre national d'études spatiales. La Nasa semble suivre "une approche scientifique et pluridisciplinaire assez similaire à la nôtre, précise-t-il, en se concentrant sur la consistance des témoignages. Elle insiste aussi sur l'importance de la qualité des données, indispensable pour des interprétations pertinentes ".


Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir - La Recherche n°924, daté février 2024.

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