Les anneaux d‘étoiles au cœur des galaxies témoignent de la vie de leur hôte

Des astronomes viennent d’établir une corrélation entre la morphologie des anneaux stellaires au centre des galaxies et celle de leur hôte. Ces petits objets, sièges d’une intense formation d’étoiles, apparaissent dans 20 % des galaxies à disque.
Les anneaux nucléaires brillent de mille feux dans le cœur de nombreuses galaxies spirales, telles de petites bagues magiques. Ils fascinent les astronomes par leur beauté, mais aussi par la richesse des informations qu’ils recèlent. Il s’y déroule parfois jusqu’à 60 % de l’ensemble des naissances d’étoiles d’une galaxie ! En août 2025, une équipe germano-espagnole est parvenue à établir une corrélation entre leur morphologie et celle de leur galaxie hôte. Un travail de classification publié dans la revue Astronomy & Astrophysics.

Plusieurs classes d’anneaux, du net au flou

« Notre étude innove en définissant plusieurs classes d’anneaux nucléaires, basées sur leurs caractéristiques morphologiques », explique l’auteur principal de ce travail, Pablo Jiménez, en thèse à l’Institut de physique des hautes énergies de Barcelone.

Premier type d’anneaux mis en évidence : ceux à deux bras bien formés et symétriques, comportant « deux bandes de poussière symétriques proéminentes qui s’étendent radialement à partir de l’anneau », comme celui visible dans la spectaculaire NGC 1512.
Deuxième catégorie : les anneaux à deux bras auxquels se rattachent des filaments supplémentaires. L’anneau nucléaire est alors « encombré de bandes de poussière, parmi lesquelles deux se distinguent comme étant les plus prévalentes ». NGC 7552, dans la constellation australe de la Grue, en fournit un bel exemple.

Troisième catégorie enfin : les anneaux « alimentés par une variété de bras sans structure hiérarchique discernable », à l’instar de ce que montre NGC 6753. Ce dégradé allant du plus net au plus désorganisé vaut tant pour les anneaux que pour les galaxies elles-mêmes… « Celles qui sont classées dans la catégorie “Grand Design” ont tendance à présenter un anneau nucléaire avec une morphologie plus nette et mieux définie, avec des anneaux à deux bras. Tandis que les galaxies les plus désordonnées, dites “floculentes”, présentent en général des anneaux nucléaires avec la structure la moins définie, comportant plusieurs bras », résume Pablo Jiménez.
De fait, la galaxie « Grand Design » NGC 1512 possède une barre forte et structurée ; NGC 7552 est une galaxie spirale qui présente deux bras bien formés, mais aussi des bras secondaires ; et NGC 6753, dont l’anneau est désorganisé, est classée parmi les galaxies floculentes.
La galaxie NGC 7552 possède deux bras bien formés, ainsi que des bras secondaires. © Nasa and STScI/Judy Schmidt

Cette classification est intéressante, note Françoise Combes, spécialiste de l’étude des galaxies, « car elle permet de nourrir notre connaissance sur l’évolution des galaxies en croisant ses résultats avec les simulations numériques réalisées sur le sujet », estime l’astrophysicienne. En effet, comme les astronomes ne peuvent pas suivre en direct sur des milliards d’années la façon dont une galaxie évolue, ils modélisent cette évolution sur ordinateur et observent ainsi l’apparition ou la disparition de telle ou telle structure (anneaux, barres…) au fil du temps.

Des structures de quelques milliers d’années-lumière

Les anneaux nucléaires ont commencé à être observés dans le ciel dès les années 1970. Néanmoins, la petite taille de leur rayon, de quelques centaines à quelques milliers d’années-lumière, est longtemps demeurée un obstacle à leur détection. Ce n’est que dans les années 1990 que leur étude a fait un bond en avant. « Leur identification s’est développée grâce à la haute résolution du télescope spatiale Hubble. Avec celui-ci, on peut les voir correctement jusqu’à environ 200 millions d’années-lumière », commente Sébastien Coméron, coauteur de l’article et directeur de thèse de Pablo Jiménez. L’astronome est à l’origine du premier catalogue de ce type d’objet : l’Atlas of Images of Nuclear Galaxies (l’acronyme AINUR étant évidemment un clin d’œil à l’univers Tolkien).

Ce catalogue établi en 2010 recense 113 anneaux nucléaires de 107 galaxies de l’Univers local. Il montre que la présence d’un anneau est loin d’être systématique dans les galaxies. On les trouve dans les galaxies spirales ou lenticulaires, mais pas dans les galaxies elliptiques ni, à l’autre bout de la séquence de Hubble, dans les galaxies irrégulières. « Les anneaux nucléaires en formation d’étoiles se trouvent dans 20 % des galaxies à disque », rappellent Pablo Jiménez et ses collègues.

Comme les cernes d’un tronc d’arbre

Mais quand ils existent, ils sont « un élément crucial pour l’étude de l’évolution séculaire de cette région », poursuivent-ils. La production d’étoiles n’y est en effet pas homogène : elle se fait par sursauts de création d’amas brillants de jeunes étoiles. En les étudiant, « il est possible de déterminer l’âge de l’anneau nucléaire, et donc d’obtenir une estimation de sa période de formation, de l’historique des apports de matière vers le centre galactique », détaille Pablo Jiménez. Autrement dit, un peu comme les cernes du tronc d’un arbre permettent de reconstituer sa vie, chaque groupe d’étoiles présent correspond à une étape de l’histoire de la galaxie.

L’anneau nucléaire de la spectaculaire NGC 1097, une grande galaxie spirale barrée de Seyfert située dans la constellation du Fourneau, donne un exemple de cette archéologie galactique. Il a été étudié sous toutes ses coutures par une équipe menée par Almudena Prieto (université de La Laguna), également coautrice de la publication de Pablo Jiménez. « Les images assemblées de l’infrarouge à l’ultraviolet permettent de caractériser la population d’environ 250 amas stellaires dans l’anneau et de démêler le réseau de filaments de poussière et de gaz qui les alimentent. L’anneau a été le siège de bouffées intermittentes de formation d’étoiles au cours des 100 derniers millions d’années », notent les scientifiques dans leur article de 2019.

Plus précisément, quatre épisodes majeurs de formation d’étoiles ont été identifiés, séparés d’environ 20 à 30 millions d’années. Sur la base de la masse totale d’étoiles formées pendant cette période, l’équipe estime que le taux de formation stellaire dans l’anneau était moitié moins efficace dans le passé qu’elle l’est aujourd’hui. Sans doute parce que le gaz qui s’y accumulait n’avait pas atteint une certaine masse critique : celle qui lui permet de se fragmenter efficacement pour s’effondrer en étoiles.

Un anneau alimenté par des flots de gaz et de poussières

Un anneau nucléaire est en effet alimenté en permanence par de vastes flots de gaz et de poussières. Comment ? Pour le comprendre, il faut dézoomer et considérer la galaxie hôte dans son ensemble. Quand une galaxie possède une barre, celle-ci produit une force gravitationnelle qui s’applique aux étoiles comme au gaz. En déstabilisant le gaz, et par le jeu des mouvements de rotation qui animent ce gaz et la barre, c’est cette dernière qui produit un, deux, voire trois anneaux de gaz.

Ce zoom de Hubble sur le centre de NGC4314 révèle des traînées de poussière, une barre d'étoiles plus petite, de la poussière et du gaz incrustés dans l'anneau stellaire, ainsi qu'une paire supplémentaire de bras spiraux remplis de jeunes étoiles. © NASA/ESA

« En entrant dans l’anneau nucléaire, les gaz s’y retrouvent piégés avec une concentration plus élevée que dans les autres anneaux, ce qui peut donner lieu à une formation stellaire intense », poursuit Sébastien Coméron. On peut observer une telle configuration à trois anneaux dans la galaxie NGC 4314. Finalement, c’est bien l’existence d’une barre galactique qui, par force gravitationnelle, est à l’origine des corrélations morphologiques observées entre les anneaux nucléaires et la physionomie de leur galaxie tout entière.

Reste une question en suspens : ce raisonnement vaut-il pour notre propre galaxie, la Voie lactée ? Possède-t-elle, elle aussi, un anneau nucléaire ? « C’est très probable. Mais, si tel est le cas, nous ne pouvons pas le voir. Il est caché par un épais voile de poussière », répond Sébastien Coméron. Il faut nous contenter de contempler les bagues qui brillent chez les autres…

Par Frédéric Dessort, Publié le 23 octobre 2025, Modifié le 23 octobre 2025 (c) Ciel & Espace (Réservé aux abonnés)