Le scénario de formation de Mercure évolue

Le noyau de Mercure est anormalement grand comparé à son manteau rocheux. Cette caractéristique était attribuée à un impact avec un gros corps céleste. Des simulations informatiques récentes indiquent qu’il n’était pas exactement celui que l’on croyait.
Des quatre planètes telluriques du Système solaire, Mercure est assurément la moins explorée. Sa proximité avec le Soleil rend les visites difficiles et avant d’être frôlée par la mission européenne Bepi-Colombo en 2024, elle n’avait été survolée que par deux sondes : Mariner 10 dans le milieu dans les années 1970 et Messenger, placée en orbite en 2011. Ces premières explorations ont cependant confirmé un mystère : Mercure possède un noyau métallique qui compte pour environ 70 % de sa masse. Par comparaison, les noyaux ferreux de Vénus, de la Terre et de Mars ne « pèsent » que pour 30 % de leur masse.

Aujourd’hui encore, aucune théorie de la formation de Mercure ne parvient totalement à expliquer cette singularité. Les choses sont peut-être en train de changer. Fin juin, Patrick Franco (université Paris-Cité) et ses collègues ont publié dans Nature Astronomy le résultat de nouvelles simulations numériques : elles suggèrent que la composition actuelle de Mercure pourrait être le produit d’une collision rasante entre deux protoplanètes de taille comparable.

Collisions et formation planétaire

L’idée générale n’est pas neuve. Willy Benz, directeur de l’Institut de physique de l’université de Berne, en Suisse, y travaillait déjà à la fin des années 1980. « Les collisions font partie intégrante du processus de formation des planètes », explique-t-il. Alors que le Système solaire était encore jeune et les protoplanètes juste formées, leurs orbites n’étaient pas encore stabilisées, et il n’était pas rare qu’un objet croise brutalement la route d’un autre. C’est aussi ce type d’événement cataclysmique qui est invoqué pour expliquer la naissance de la Lune ou encore l’étrange inclinaison de l’axe de rotation de la planète Uranus.

« Les collisions entre objets de taille similaire étaient bien plus fréquentes »

Dans le cadre de cette hypothèse, une proto-Mercure environ deux fois et demie plus massive que la planète actuelle et dotée d’un noyau proportionné à sa taille, aurait vu une grande partie de son enveloppe rocheuse arrachée lors d’un choc violent avec un autre corps du Système solaire. Le fragment restant, privé d’une bonne part de son manteau rocheux, ne conserverait alors qu’un noyau métallique démesuré. C’est la Mercure que nous observons aujourd’hui.
« L’hypothèse de la collision est la plus prometteuse, estime Willy Benz, mais on a du mal à cerner quel type d’impact a réellement formé Mercure. » Retrouver l’histoire exacte de la petite planète est un réel défi. En l’absence de traces directes, les astronomes n’ont d’autre choix que de s’en remettre aux simulations numériques. « L’une des principales théories imaginait qu’un objet très massif, à peine moins que la Terre, avait percuté Mercure à très grande vitesse, retrace Patrick Franco, mais dans nos précédents travaux, nous avons montré que de telles rencontres étaient très improbables dans les simulations de disque protoplanétaire et que les collisions entre objets de taille similaire étaient beaucoup plus fréquentes. »

Une solution encore incomplète

Lui et ses collègues ont donc cherché à simuler précisément ces impacts plus réalistes pour chercher si la forme actuelle de Mercure pouvait en découler, et ils ont réussi. Dans la simulation la plus convaincante, visible dans une courte vidéo publiée avec l’étude, une planète percute Mercure à « faible vitesse » (22 km/s tout de même), avant de poursuivre sa course.
Le choc n’est pas frontal mais de biais, selon un angle de 30°. Il est alors rasant, suffisant pour arracher une grande partie du manteau sans atteindre directement le noyau. Les structures externes des deux objets volent en éclats, et une Mercure plus petite se reforme rapidement autour de son noyau. À l’échelle de la simulation, l’ensemble du processus ne dure que quelques heures.

« Nous avons trouvé les paramètres d’une collision possible qui aboutit à former une planète de la taille de Mercure composée à 70 % de métaux, mais ce n’est pas encore suffisant pour expliquer totalement la structure actuelle de Mercure, tempère Patrick Franco, il reste encore beaucoup de questions auxquelles répondre. » Par exemple, que deviennent les débris rocheux éjectés ? Ne vont-ils pas finalement retomber sur Mercure ?« Nous n’avons simulé que les 48 heures qui suivent le choc, mais cela a demandé entre un et deux mois de calcul, précise Patrick Franco. Impossible, avec cette approche, de suivre l’évolution à long terme du système. »

L’un des défis majeurs sera également de résoudre le « problème de Mercure ». Si la planète semble avoir perdu la majeure partie de son manteau, les observations de Messenger en 2011 ont montré que sa surface conserve pourtant une quantité notable d’éléments volatils qui auraient théoriquement dû être éjectés eux aussi dans le scénario d’impact.

Pierre Giraudeau, Publié le 15 octobre 2025 (c) Ciel & Espace