La NASA reconnaît que les astronautes acheminés par Boeing jusqu’à l’ISS sont bloqués et appelle SpaceX à la rescousse

Le vaisseau Starliner, qui avait envoyé Barry Wilmore et Sunita Williams en orbite début juin pour huit jours, est jugé incapable de les ramener sur Terre en sécurité. Leur attente pourrait se prolonger jusqu’en février 2025.

Ce devait être une escapade de huit jours, elle pourrait se prolonger jusqu’en 2025. Après des semaines de déni de la NASA, la réalité s’impose : les deux astronautes américains Barry Wilmore et Sunita Williams sont bel et bien naufragés de l’espace, coincés sur la station spatiale internationale (International Space Station, ISS). En cause, le vaisseau de Boeing Starliner, qui les avait envoyés en orbite début juin, est pour l’instant jugé incapable de les ramener sur Terre en sécurité.

C’est donc à Elon Musk et sa société SpaceX que l’agence pourrait faire appel, mais la date se trouve reportée à février 2025. « Nous nous trouvons dans une situation nouvelle, dans la mesure où nous avons plusieurs options, a déclaré l’ancien astronaute Ken Bowersox, administrateur associé de la NASA. Nous ne sommes pas obligés de ramener un équipage à bord de Starliner : nous pouvons le ramener à bord d’un autre véhicule. »

L’affaire menace l’existence même du programme spatial Starliner de Boeing et fait, plus que jamais, de SpaceX, le prestataire spatial privilégié des autorités fédérales américaines, jusqu’à présent bien plus fiable et meilleur marché. La compétition entre Boeing et la firme d’Elon Musk a commencé en 2014, lorsque la NASA avait attribué 4,2 milliards de dollars à Boeing et 2,6 milliards de dollars à SpaceX, pour créer des véhicules destinés à transporter les astronautes dans l’espace.

La société de M. Musk avait réussi son premier vol habité, en mai 2020, sous les applaudissements du président Donald Trump, et réalisé, depuis, huit vols habités vers l’ISS pour la NASA. Une première depuis l’arrêt de la navette spatiale en 2011. A cette époque, le projet Boeing accumule les revers, avec quatre-vingts défaillances identifiées, lors d’un audit indépendant. Son programme accuse des années de retards et des surcoûts supérieurs à 1,4 milliard de dollars.

« Petite fuite » d’hélium

Le fiasco de ce premier vol habité est une nouvelle humiliation pour Boeing, qui a poussé, au printemps, à marche forcée l’envoi de ces astronautes. En mai, le vol avait dû être annulé en raison d’une « petite fuite » d’hélium. Le 1er juin, il l’avait été à cause de l’interruption d’un ordinateur 3 minutes 50 avant le lancement. Les astronautes étaient finalement partis le 5 juin, mais, rétrospectivement, il apparaît que Boeing, qui est dans le collimateur des autorités américaines pour ses défaillances de sécurité et ses mensonges répétés en matière d’aviation civile, n’était pas au niveau.

Pendant le vol d’approche de l’ISS, les fuites d’hélium ont continué tandis que cinq des vingt-huit propulseurs du Starliner se sont arrêtés à un moment du vol. Boeing avait affirmé en avoir réparé quatre, neutralisé un et minimisé les problèmes, mais la NASA a voulu renforcer la sécurité du voyage retour.

L’affaire susciterait de vifs désaccords au sein de la NASA et avec Boeing. Le problème essentiel porte sur le désarrimage de la station : si trop de propulseurs connaissent une nouvelle défaillance avant que la capsule ne se soit suffisamment éloignée, Starliner pourrait devenir incontrôlable et entrer en collision avec l’ISS. Les propulseurs sont également nécessaires pour donner à la capsule l’énergie suffisante lui permettant de quitter son orbite et de redescendre sur Terre. Ce trajet est très dangereux, en raison de l’extrême vitesse qui chauffe à blanc la capsule quand elle entre dans l’atmosphère.

Equilibre des risques

De semaine en semaine, au fil des vérifications, les vols de retour ont été reportés au 24 septembre au moins. Jusqu’à la nouvelle de mercredi 7 août, révélée dans la matinée par le Wall Street Journal, et suivie d’une conférence de presse de la NASA.

Selon le plan de secours en cours d’élaboration, la NASA utiliserait les vols de relève régulière des quatre membres d’équipage permanents de l’ISS. Le prochain est prévu en février, sous l’égide de SpaceX. La firme d’Elon Musk n’enverrait en février 2025 que deux astronautes au lieu des quatre actuellement prévus et en rapatrierait quatre, dont les deux astronautes naufragés de Boeing.

Cette manœuvre implique de faire retourner sur Terre la capsule Boeing à vide. « Si la NASA décide de modifier la mission, nous prendrons les mesures nécessaires pour configurer Starliner pour un retour sans équipage », a déclaré Boeing, dans un communiqué. Ce dernier scénario n’est pas évident, car il exigerait une modification du logiciel de Starliner : selon le site Ars Technica, la capsule n’étant pas programmée pour repartir à vide, il faut en théorie quelqu’un pour la désarrimer de l’ISS.

Officiellement, rien n’est tranché. « Nous n’avons pas approuvé ce plan », a prévenu Steve Stich, responsable à la NASA, tandis que Boeing défend sa capsule : « Nous croyons toujours aux capacités de Starliner. » L’agence est confrontée à un choix délicat d’équilibre des risques : un retour habité du Starliner de Boeing ou le retour à vide de la capsule conjugué avec le rapatriement sur Terre via Space X. La décision doit intervenir à la mi-août.

Arnaud Leparmentier (New York, correspondant du Monde)