À Séville, l’Europe annonce vouloir se doter d’un cargo spatial réutilisable

 L’Agence spatiale européenne (ESA) a annoncé au Space Summit 2023 de Séville le lancement d’une compétition industrielle pour doter l’Europe d’un vaisseau réutilisable automatique en 2028. Une réalisation qui est toutefois assortie de certaines conditions.

Quinze ans après le vaisseau cargo ATV et 30 ans après l’abandon d’Hermès, l’Europe va-telle franchir un nouveau cap en matière d’engins habitables ? Aujourd’hui, l’Agence spatiale européenne (ESA) souhaite pouvoir lancer, dans moins de cinq ans, une capsule cargo depuis le Centre spatial guyanais (CSG) au moyen de la nouvelle fusée Ariane 6 ou de l’une de ses évolutions. Un choix qui intervient dans un contexte politico-économique plus que difficile, avec deux conflits majeurs à quelques encablures de la zone euro (Russie-Ukraine et Israël-Palestine) et une inflation de 4,3 % dans la zone euro.

Rendez-vous spatial à Séville

C’est surtout le résultat d’âpres discussions qui se sont déroulées jusqu’à la toute dernière minute de ce « Space Summit » ibérique. Cette direction prise n’est pas une surprise, compte tenu de la crise des lanceurs qui mine la filière spatiale européenne. Ainsi, la proposition faite par Josef Aschbacher, le directeur général de l’ESA, reposait sur plusieurs conditions. La première est la sécurisation d’Ariane 6. Sur ce point, le « DG » nous a confié qu’à l’issue d’un essai de mise à feu au sol prévu le 23 novembre 2023 avec l’exemplaire de test, « nous serons en bonne position pour déterminer une période de lancement », vraisemblablement au printemps 2024.
Le second point était de garantir l’exploitation d’Ariane 6, qui courait pour l’instant sur quinze exemplaires. Il fallait donc sécuriser la phase suivante qui s’étend sur les exemplaires de vol FM16 à FM42, ainsi que sur la sortie du lanceur Vega-C du giron d’Arianespace, qui nécessitera toutefois une période de transition. Ces différents points, politiquement réglés en amont, permettaient d’ouvrir la voie au volet de la capsule automatique.

Une petite révolution en Europe

Cette future réalisation se fera toutefois dans un schéma différent de celui utilisé pour concevoir autrefois l’ATV. En effet, l’ESA a choisi d’adopter une stratégie similaire à celle de la Nasa avec SpaceX pour les capsules Dragon. Une petite révolution s’amorce ainsi pour l’autorité spatiale européenne, qui entend désormais acheter un service, et non plus un vaisseau. Du coup, l’industriel qui sera choisi restera propriétaire de son véhicule et pourrait même le proposer à qui le souhaite. « Nous allons effectivement vers ce schéma comme l’a fait la Nasa avec l’initiative COTS », explique ainsi l’ancien astronaute Frank de Winne, actuel chef du Centre européen des astronautes à Cologne.

D’ici les prochaines semaines, l’ESA lancera un appel d’offres auprès de toute l’industrie européenne. Charge ensuite aux différents acteurs de se positionner pour rendre une proposition d’ici fin mars 2024, en tenant bien sûr compte des spécifications de l’ESA. Outre être compatible avec Ariane 6 ou ses futures évolutions, la solution proposée doit pouvoir s’amarrer à la station spatiale internationale (ISS), assurer une rentrée atmosphérique et être réutilisable. « Elle devra être capable d’apporter 4 tonnes de cargo vers l’ISS et remporter 2 tonnes au retour. C’est important, car si nous voulons un jour ramener des équipages au sol par nous-mêmes, il faut avoir un minimum de capacité », précise Frank de Winne.

La porte pour réaliser un véhicule habité reste entrouverte. Officiellement, ce projet de cargo se veut une première marche vers un hypothétique engin habité européen. « C’est une étape. Nous sommes sur la bonne voie », confie l’astronaute allemand Alexander Gerst. Se pose à présent la question du financement.

« Pas d’argent frais »

Josef Aschbacher a été très clair : pas question de demander de l’argent frais aux États membres. Rien de ce qui a été souscrit lors de CM 22 ne changera. « Cela représente un montant de 75 millions d’euros ponctionnés sur les budgets votés lors de la conférence ministérielle à Paris en 2022 », indique le directeur général. Cette dotation est prise sur l’actuelle enveloppe de la division « Exploration robotique et humaine ». Quant au choix de 2025, il correspond à la date de la prochaine réunion ministérielle et il devra permettre de fournir le financement supplémentaire.

Pour la partie technique, tous les industriels habituels de la filière devraient assez logiquement soumissionner. Sera retenu celui qui proposera la solution adaptée. « On ne veut pas quelque chose de “super sophistiqué” mais simplement un dispositif qui remplisse la mission », note l’astronaute allemand Mathias Maurer.
Si l’on s’en tient aux demandes de l’ESA, deux candidats paraissent bien placés. ArianeGroup développe Susie, justement dévoilé pendant l’IAC de 2022. Ce concept d’étage supérieur doit pouvoir effectuer un retour atmosphérique avant de se poser en douceur au sol. Un premier démonstrateur à échelle réduite (100 kg pour 2 m de long) a entamé des essais d’allumage moteur le 23 octobre 2023 sur le site des Mureaux, près de Paris. Après 2025, il est envisagé un véhicule à échelle ½ capable de transporter environ 3 t de cargo vers l’ISS et, à plus longue échéance, une version de 25 t capable de transporter cinq personnes et 7 t de fret vers l’orbite basse.

Pour sa part, la société The Exploration Company propose la capsule Nyx, présentée fin 2022. Le 10 septembre 2023, la start-up bordelaise a réussi un joli coup : la signature d’un accord avec la société américaine Axiom Space pour une mission de fret vers la future station spatiale commerciale Axiom à partir de 2027, sous réserve que la capsule Nyx soit opérationnelle.

Délais restreints ?

Si le calendrier de l’ESA parait court, il n’y a rien d’inaccessible, dans la mesure où l’industrie a semé des graines techniques nécessaires à la conception d’une telle machine depuis maintenant 30 ans. Ainsi, il y a eu la capsule de rentrée atmosphérique ARD, lancée le 21 octobre 1998 par une fusée Ariane 5 (V-112) ou encore le démonstrateur IXV de Thales Alenia Space (TAS) lancé par Vega (VV04) le 11 février 2015.

L’idée d’une capsule cargo récupérable est également loin d’être nouvelle. En 2009, l’ESA avait déjà avancé un premier concept avec l’Advanced Reentry Vehicle (ARV), qui aurait pu succéder au cargo ATV. Ce concept avait même ressurgi en 2021, sous une autre forme, lors d’une étude présentée pendant le forum GLEX à Saint-Pétersbourg.

Si le choix de faire une capsule automatique peut également paraitre tardif, l’ISS devant être abandonnée vers 2030, « cette capacité d’accès et de revenir de l’ISS a (néanmoins) une grande valeur, quel que soit le futur de la station », estime Philippe Baptiste, le président du CNES. D’autres structures orbitales doivent succéder à l’ISS. L’Inde a récemment fait part de son intention de se doter de sa propre station en 2035. Pour l’Europe, il importe de ne pas être absent d’un marché émergent : celui du transport spatial orbital, qui pourrait représenter jusqu’à 150 milliards de dollars dans les dix ans qui viennent.

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