Le télescope James-Webb éclaire l’origine de l’eau sur Terre

Dans un jeune système solaire, au cœur de la nébuleuse d’Orion, une équipe internationale a repéré une molécule, indice de transformations chimiques de l’eau. Cette découverte permet de mieux comprendre la formation de l’eau sur les planètes telluriques.

Les yeux perçants du télescope spatial James-Webb ont encore révélé des phénomènes fascinants, au cœur du processus de formation de systèmes solaires comme le nôtre. Une équipe internationale vient de mettre en évidence une machinerie insoupçonnée, un cycle de l’eau très précoce et de très grande ampleur qui pourrait mieux expliquer l’origine de l’eau de notre planète. L’observation a révélé que de la glace d’eau est détruite, puis reformée à un rythme insensé, dans un volume équivalent à la disparition d’un océan terrestre tous les mois.

Cela n’a pas lieu, bien sûr, dans notre Système solaire aujourd’hui, mais dans de très jeunes systèmes, dits protoplanétaires, d’un à trois millions d’années après la formation d’une étoile centrale, et bien avant l’apparition de planètes telluriques. Plus précisément, les événements ont lieu au sein du disque d203-506, déjà repéré par le télescope spatial Hubble, situé dans la nébuleuse d’Orion, la pouponnière d’étoiles la plus proche de nous, à quelque 1 000 années-lumière.

Mais des détails-clés, révélés dans un article de Nature Astronomy le 23 février, avaient échappé au prédécesseur du James-Webb.

Une molécule, deux formes

Ces détails sont chimiques, et même quantiques. Une molécule, le radical libre hydroxyle, fait d’un atome d’oxygène et d’un atome d’hydrogène (OH), a été détectée pour la première fois dans la zone très proche de l’étoile centrale, à moins de 100 unités astronomiques (soit, tout de même, trois fois la distance entre la Terre et Neptune), constituée de gaz et de poussières. Et OH l’a été sous deux formes. La première, comme s’il tournait sur lui-même à grande vitesse, au point de quasiment rompre. « C’est vertigineux », s’enthousiasme Benoît Tabone, l’un des auteurs principaux de l’article, à l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS) et au CNRS, qui précise que ce serait l’équivalent d’un gaz chauffé à plus de 40 000 degrés (quand l’environnement est pourtant déjà chaud, 10 000 degrés). La seconde forme est plutôt une vibration des deux atomes, hydrogène et oxygène, qui se rapprochent et s’écartent, avec une énergie plus faible.

Les caméras du télescope qui dispersent, comme des spectroscopes, la lumière sont capables de repérer et, surtout, de distinguer ces deux formes du radical hydroxyle d’énergie différente. « Ce n’était pas simple, car ce sont des signaux très faibles, qu’on n’était pas sûrs de pouvoir “sortir” du bruit de l’instrument », témoigne Marion Zannese, en fin de thèse à l’IAS sous la direction d’Emilie Habart, copilote de ce projet d’observation. En outre, des théoriciens, de l’université de Leyde (Pays-Bas), de celle de Salamanque (Espagne) et de l’Institut de physique fondamentale de Madrid, ont été capables d’expliquer l’origine de ces deux formes par des calculs de dynamique moléculaire, faisant appel à la physique quantique.

Enfin, l’équipe multidisciplinaire a mis tout cela ensemble pour écrire une nouvelle histoire de l’eau dans les systèmes planétaires. Les OH tournoyants sont la preuve qu’une molécule d’eau glacée est cassée par les forts rayonnements ultraviolets envoyés, non par l’étoile jeune en formation, mais par des étoiles plus intenses et plus éloignées. « Cette photodissociation est la seule à pouvoir expliquer la présence de cette forme très excitée de l’hydroxyle, insiste Benoît Tabone. Chaque grain de lumière reçu par le télescope à cette énergie correspond à la destruction d’une molécule d’eau. » Les chercheurs sont donc capables d’estimer à quel rythme cette eau est détruite : un océan terrestre par mois.

Une succession de réactions

Quant aux OH vibrants, ils témoignent, au contraire, d’une molécule d’eau en train de se reformer. De l’hydrogène rencontre de l’oxygène pour former OH, qui s’alliera ensuite à un autre hydrogène pour créer la fameuse molécule d’H2O. « Il est vrai que nous n’avons observé que la première étape, pas la seconde, conduisant à la synthèse complète de l’eau », confesse Benoît Tabone.

Mais cela suffit aux chercheurs pour éclairer l’un des mystères de l’origine de l’eau sur Terre. Il est entendu qu’elle vient de corps primitifs comme des astéroïdes, eux-mêmes fruits de l’agrégation de grains de poussière et de gaz très primordiaux, constituants des disques dits protoplanétaires, comme d203-506. Problème : la composition chimique de l’eau terrestre n’est pas la même que celle autour des protoétoiles. Il s’y trouve moins d’hydrogène dit « lourd » incorporé, ou deutérium, que dans ces disques.

Le cycle de l’eau mis en évidence résout une partie de ce mystère en montrant que l’eau glacée entourant les grains primordiaux dans le disque a été, en réalité, « reprocessée », en étant détruite, reformée, puis redétruite, reformée… Cette succession de réactions a, au cours du temps, appauvri en deutérium l’eau qui a pu s’incorporer ensuite aux astéroïdes, puis tomber sur Terre. « C’est une hypothèse. Les processus que nous avons identifiés représentent une solution à cette question, mais ils ne sont certainement pas les seuls », reconnaît Marion Zannese.

« Ce projet était un double pari : être capable de voir cette molécule avec le télescope, et confirmer que ça collait à la théorie. C’est réussi », apprécie Benoît Tabone, qui, en exposant ces travaux en conférence le 20 février, a pu constater que tout le monde s’est mis à chercher de l’hydroxyle dans ses données. James-Webb confirme qu’il est aussi un excellent petit chimiste.

David Larousserie (c) Le Monde du 23/02/2024

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